Il faut grandir. « Comporte toi en adulte », « grandis un peu », tels sont les psaumes que l’on
nous inculque tout au long de notre vie. Mais est-ce là réellement la finalité idéale ? Ne sommes nous
pas finalement restés des enfants jouant aux grandes personnes ? Timothée de Fombelle, dans
son roman Neverland paru en 2017, nous invite à quitter momentanément notre vie tumultueuse
d’adulte, à nous arrêter quelques instants, le temps d’une lecture, pour nous interroger sur notre
rapport à l’enfance. Tout commence lorsque le jeune narrateur se voit attribuer une tâche
importante: rédiger une lettre d’amitié à Coco, le meilleur ami de son grand-père. Des années plus
tard le narrateur retourne dans la maison de ses grands-parents pour retrouver cette lettre perdue,
symbole de son passage de l’enfance à l’âge adulte. Usant de l’autofiction, le roman est une quête
introspective du narrateur où se mêlent imaginaire et réalité. Il est construit sur la succession
d’analepses, le narrateur revient sur plusieurs événements de son enfance, événements pouvant
paraître anodins mais qui sont, aux yeux du narrateur, profondément marquants pour son passage de
l’enfance à l’âge adulte. D’un style poétique, doux, jouant sur les émotions, le récit aborde en
profondeur plusieurs thèmes tous intrinsèquement liés à l’enfance, comme le rapport à soi et la
famille. L’auteur questionne le principe de perpétuation de l’identité. La famille transmet des
valeurs, des habitudes, des visions du monde. Dans le cas du narrateur se pose la question de la
transmission de la mémoire, et du poids de celle-ci. Le grand-père, dont « la parole était son trésor
de toujours » transmet à son petit-fils le rôle qui lui incombait, celui d’écrire à son ami, il lui
transmet sa « plume », une partie de ce qui le définit. Le narrateur accepte de bon cœur ce nouveau
rôle, la lettre devenant ainsi une relique de son enfance. Se mêlent donc plusieurs temporalités,
temps passé et temps présent, afin d’insister d’autant plus sur ce principe de perpétuation mais aussi
d’immortalisation de soi par le biais de la transmission. Il ne s’agit pas pour autant d’absorber
l’autre, de le faire disparaître, mais bien de perpétuer sa mémoire.
Ces questionnements nous invite à nous pencher sur le rapport à la temporalité. Timothée de
Fombelle met en évidence la fragilité de l’enfance mais aussi son caractère sacré. Il l’affilie à un
espace caché en la désignant par exemple par les termes de « royaume », de « jardin suspendu », ou
de « haut plateau ». On a quitté l’enfance avant même que l’on ne s’en rende compte, à l’image du
concept de tempus fugit : « Mais l’enfant sait-il que celui qui le traque et dont l’ombre s’étale sur
la façade, c’est l’homme qu’il deviendra, qui s’arrêtera une nuit, le souffle court, perché en
équilibre sur une grille à la verticale de l’enfance ? ». Mais il ne s’agit pas pour autant de porter un
constat démoralisant. Timothée de Fombelle cherche à montrer que l’enfant que nous étions
demeure en nous, quelque part. Il fait partie de notre identité, de ce que nous sommes en tant
qu’adulte. L’auteur nous invite revoir notre conception du monde en empruntant un regard d’enfant,
celui que nous étions.