Fille / Otages. Aurait-on pu trouver analogie plus brillante ? C’est pourtant sans concertation que Camille Laurens et Nina Bouraoui publient ces deux ouvrages de la rentrée littéraire 2020. Deux auto fictions, deux récits forts, deux questionnements sur la condition féminine.
Qu’est-ce qu’être une femme ? Voilà la trame narrative de ces deux ouvrages. En prenant comme point de départ la violence intériorisée du sexe faible, les deux autrices s’adonnent chacune dans leur style à des recompositions fragmentaires de leur existence. Les réflexions intérieures des deux protagonistes conduisent la lecture, et obligent le lecteur à penser, le temps d’un récit, comme une femme.
Pour les deux personnages, la violence s’exerce à travers le langage. Les monologues intérieurs, ponctués par les brèves interventions au discours direct, sont hantés par les assignations édictées par les hommes. Pour Laurence Barraqué, héroïne de Fille, les mots du père suffisent à ce constat : « L’unique mot qui te désigne ne cesse jamais de souligner ton joug, il te rapporte toujours à quelqu’un ». Le lexique traduit la relation de subordination et éclaire le concept de violence symbolique établi par Bourdieu. Ici, l’héroïne ironise la brutalité des mots qui conduit la réflexion de l’ouvrage. La prise de distance humoristique permet donc d’interroger et de redéfinir la conception commune de la « fille ». Cette suprématie du langage tient également une place de choix dans Otages, à travers les idiolectes paternalistes adressés à Sylvie Meyer. Quand ce n’est pas le patron qui l’assène de surnoms infantilisants, ce sont des policiers qui l’humilient verbalement.
Ces deux œuvres traduisent donc la captivité d’un sexe et démontrent la portée universelle de la parole des femmes. Le quotidien des héroïnes se fait écho, et leur destin commun prend sa source dans l’expérience traumatique de la perte d’un enfant – pour Laurence Barraqué – et celle de l’agression sexuelle – pour Sylvie Meyer.
Mais la réaction des protagonistes diverge foncièrement. Là ou Laurence se maintient au fil du récit dans une certaine passivité, à travers une écriture réflexive, Sylvie Meyer adopte quant à elle une tout autre attitude. Cette violence intériorisée, produite par l’image choc du viol survenu à ses quinze ans, va resurgir lors d’un événement en apparence anodin. Elle qui était jusqu’à alors prisonnière de sa condition va inverser la tendance le temps d’un instant : celui de la prise d’otage de son patron. Le retour du refoulé s’exerce donc à travers ce renversement temporaire du rapport de force : « Pour une fois, j’avais le pouvoir, et en plus je pouvais en user. » L’héroïne reprend prise sur son existence, et reconstruit son identité de femme par l’acte de révolte.
On comprend donc toute l’importance de cette multiplication des voix féminines, qui viennent compléter un corpus de plus en plus foisonnant. A leurs côtés, différentes thématiques sont abordées : la question du consentement chez Vanessa Springora, celui de la culpabilité familiale chez Camille Kouchner ou encore celui des existences féminines brimées dans le récit choral Les impatientes de Djaïli Amadou Amal. Mais, toutes ont en commun cette volonté de combattre une société patriarcale et d’accompagner la libération de la parole des femmes.
C’est intéressant car nous avons eu la même idée pour la rédaction de notre article (concernant le choix des textes et l’idée générale, c’est-à-dire la multiplicité des voix dans la contestation sexiste), bien que nous étudions cela d’une façon différente.
Et du coup en quoi votre façon d’appréhender les textes est-elle différente? Que mettez-vous en avant?
Elle est différente surtout les termes utilisés qui sont issus de notion philosophique. Mais en soit l’idée reste la même dans les deux textes, je souhaitais simplement le souligner.